L’art du repli stratégique ou savoir quand il faut abandonner… ou pas

On nous dit sou­vent que l’a­ban­don est une erreur, qu’il faut s’armer de patience, de courage, “Cent fois sur le méti­er remet­tez votre ouvrage”. Mais der­rière le mes­sage “moti­va­tion” et pen­sée pos­i­tive, n’y a t‑il pas des cas où l’a­ban­don devient une option intel­li­gente, un choix stratégique… une forme de repli pour mieux atta­quer de nou­veau, mais différemment ?

Selon Seth Godin, l’au­teur du livre “Le DIP — Un petit livre qui vous enseign­era quand renon­cer (et quand per­sévér­er)”, “les gag­nants savent renon­cer vite, sans éprou­ver de cul­pa­bil­ité”. Il y a des défis qui valent la peine d’être relevés et d’autres non. Le numéro 1 a 10 fois ce que le dix­ième obtient, et ce dernier a 10 fois ce que le 100ième obtient. De fait, dans un monde glob­al­isé, on est rapi­de­ment en con­cur­rence avec la terre entière pour chaque domaine… et quand on ne fait pas par­tie des meilleurs, on ramasse les miettes !

Dans le livre, Seth nous dit que si le pro­grès est sta­tion­naire et que les efforts n’amènent pas de résul­tat, la sit­u­a­tion est sans doute sans issue. Il faut savoir la recon­naître et en sor­tir très vite, au lieu de gaspiller ses efforts et ses ressources. Seth Godin par­le aus­si d’un autre type de sit­u­a­tion dite « de falaise » où il est impos­si­ble de s’arrêter, car tout parait sim­ple, mais dont l’issue est fatale (tomber dans la falaise). C’est un autre cas de fig­ure où il faut savoir s’arrêter. Le secret du suc­cès se trou­ve dans le « Défi Impos­si­ble ou Pos­si­ble (DIP) » et sur la manière de le relever. Si le livre vous intéresse, vous trou­verez un résumé à cette adresse.

Bon la suite est une réflex­ion per­son­nelle qui n’a rien à voir avec le livre. Imag­inez que vous soyez vrai­ment nul en dessin et que vous souhaitiez faire une BD. Vous n’avez peut-être même pas con­science de votre niveau, et en plus, vous vous dites que cer­taines BD sont assez moches, mais plaisent quand même. Alors, vous vous lancez. Et puis, aucun édi­teur ne vous accepte… alors vous lancez une cam­pagne de crowd­fund­ing… et là, pareil, les gens n’ac­crochent pas. Au bout de 2 ans, en aut­o­fi­nance­ment, vous avez plusieurs planch­es, mais pas de client. Que faire ? Con­tin­uer, s’en­têter ou arrêter ? Il y a des gens qui con­nais­sent un suc­cès rapi­de, ful­gu­rant… et qui tombent ensuite dans l’ou­bli faute de réel tal­ent. Par­fois, la chance y était pour beau­coup. Et puis, il y en a d’autres qui con­nais­sent le suc­cès tar­di­ve­ment.… cela me fait penser à l’au­teur de Naru­to

Mais bien sou­vent, ceux qui met­tent du temps à être con­nus, savent qu’ils ont un tal­ent. Ils améliorent leur tech­nique, leur com­mu­ni­ca­tion et font des “ten­ta­tives” en par­tic­i­pant à des con­cours, en présen­tant leur œuvre lors d’ex­po­si­tions ou de salons… ils font des efforts pour amélior­er “leur référence­ment” en quelque sorte. Albert Ein­stein dis­ait qu’un fou, c’est quelqu’un qui repro­duit quelque chose con­tin­uelle­ment, sans rien chang­er, mais en espérant un résul­tat différent.

Alors com­ment déter­min­er si on a du tal­ent, que ça vaut la peine de con­tin­uer ? Je crois qu’il est néces­saire de garder en tête qu’il faut être le meilleur de son domaine… mais atten­tion, je ne par­le par de domaine au sens large, mais bien d’un créneau spé­ci­fique. Tout dépend de la taille du marché bien enten­du. Si vous être le meilleur his­to­rien de la “péri­ode 1712 à 1713 con­cer­nant la migra­tion des inu­its”… c’est très bien, mais pour­rez-vous en vivre ? Monde glob­al­isé, dit aus­si marché glob­al. Il y a de la place pour un tas de gens en réal­ité. Les con­som­ma­teurs ont de plus en plus des gouts “spé­ci­fiques” et sont à la recherche de nou­veauté. Si on est le meilleur dans son domaine, même réduit, alors, quand quelqu’un cherchera une info, un pro­duit ou une presta­tion sur votre com­pé­tence par­ti­c­ulière, il tombera sur vous. Et pas sur le gars qui est classé 41ième de la liste des experts sur le sujet.

Mais, aujour­d’hui, être le meilleur passe aus­si par la maitrise de sa com­mu­ni­ca­tion avec le monde. Si vous n’avez pas de site inter­net, pas de chaine YouTube, que vous n’avez pas écrit de livre, et que vous n’êtes référencé nulle part…  déjà, com­ment savez-vous que vous êtes le meilleur ? Mor­pheus a dit à Néo : “on n’est pas le meilleur quand on le croit, mais quand on le sait”. Cela sig­ni­fie qu’il faut accepter les défis, le fait de se con­fron­ter à la con­cur­rence… il faut que le pub­lic soit en mesure de com­par­er vos travaux avec ceux de vos con­cur­rents. Et pour cela, il faut communiquer.

Cela nous amène à une ques­tion impor­tante: qui est le meilleur, celui qui plait au plus grand nom­bre, celui qui gagne le plus d’ar­gent ou celui qui a la meilleure maitrise de son domaine ? Vaste ques­tion. Cela revient à l’ex­em­ple qu’on a don­né plus haut: on peut con­naitre un suc­cès ful­gu­rant, mais pour “dur­er”, il faut avoir plus qu’une belle gueule dans la chan­son (référence à John­ny Hal­l­i­day dont la réus­site n’est plus à prou­ver). La ques­tion qui fait mal, c’est: “sans tal­ent, mais avec beau­coup de per­sévérance, le fait de dur­er n’est-il pas déjà une forme de réussite” ?

Quand un secteur devient dif­fi­cile, ceux qui arrivent à résis­ter tirent bien sou­vent leur épin­gle du jeu. Imag­inez que vous soyez un coureur moyen… mais ce jour là, il fait très chaud e,t tour à tour, les meilleurs aban­don­nent… Si vous êtes résilient, alors peut-être fer­ez vous par­tie du trio de tête cette fois-ci. Et puis, cer­tains jet­teront peut-être l’éponge coté car­rière… Vous voyez où je veux en venir.

Sur un champ de Bataille, les plans sont sou­vent à met­tre à la cor­beille. Les généraux le savent bien. Il faut réa­gir vite, faire preuve d’in­tel­li­gence, être capa­ble de bâtir une stratégie en fonc­tion de la réac­tion de l’ad­ver­saire. Et le temps est un élé­ment déter­mi­nant. Se repli­er per­met par­fois d’at­ta­quer sur une ligne de défense moins for­ti­fiée. Mais quelques fois, on perd la con­fi­ance de ses hommes et on encour­age l’en­ne­mi. Quelques fois, le repli coûte cher égale­ment. La réus­site, on l’ob­tient par­fois après une suc­ces­sion d’échecs… Cela me fait penser à cette scène effroy­able de World War Z où Jerusalem est entourée d’une enceinte gigan­tesque avec des tours de garde qui tirent sur les zom­bies envi­ron­nants… Aucune chance qu’un jour ils puis­sent franchir l’en­ceinte ? En fait, les morts s’ac­cu­mu­lent et for­ment un promon­toire pour les suiv­ants. Au bout d’un moment, ce promon­toire fait la hau­teur du mur, et ils finis­sent par entr­er dans Jerusalem… C’est par­fois ça la réus­site.… ça parait impos­si­ble, mais à force d’es­sais… en apprenant de ses échecs, on grav­it par­fois les plus hauts sommets.

En trad­ing bour­si­er, on apprend à “couper rapi­de­ment ses pertes”. Le marché a tou­jours rai­son. Si on sait admet­tre rapi­de­ment qu’on est dans l’er­reur, alors on pour­ra se rat­trap­er sur un autre coup.  Mais une fois qu’on a coupé ses pertes, on a per­du de l’ar­gent. Alors que dans 1 mois, dans 1 an… nous auri­ons peut-être eu rai­son… Couper rapi­de­ment ses pertes, ça peut aus­si amen­er à la ruine si cela nous arrive trop sou­vent. Heureuse­ment, quelque chose donne sou­vent rai­son aux traders dans le fait de couper leur pertes, c’est la notion d’éro­sion de l’ar­gent, surtout quand on tra­vaille avec des coef­fi­cients mul­ti­pli­ca­teurs et le fait que, d’une cer­taine façon, plus on attend, et plus ça nous coute…  Comme pour un champ de bataille, la notion de “temps” est impor­tante. Réus­sir tar­di­ve­ment… c’est peut-être aus­si réus­sir trop tard. A quoi sert la richesse et la recon­nais­sance, si on n’est plus en mesure d’en profiter ?

Bon, j’ai bien con­science que je vous souf­fle le tout et son con­traire…Quelle chance va avoir quelqu’un qui pos­sède un gros hand­i­cap de devenir le meilleur de son domaine ? Prenons le cas de quelqu’un de très laid qui veut devenir man­nequin… mais pas le man­nequin le plus laid,  je veux dire, qu’on finisse par le trou­ver “le plus beau”… C’est un peu le com­bat de l’in­né et de l’ac­quis… cela rap­pelle le film “Bien­v­enue à Gat­ta­ca”. L’un a toutes les cartes en main, mais n’a pas envie… et l’autre n’a que sa volon­té… devinez qui part dans l’e­space à la fin du film ? Bon, je ne spoile pas. Cela nous amène à une autre réflex­ion: faut-il appren­dre à combler ses lacunes ou est-il préférable de tra­vailler ses com­pé­tences innées. Rap­pelez-vous l’his­toire d’Anto­nio Salieri décou­vrant l’œuvre de Mozart… l’un des seuls à pou­voir vrai­ment juger du génie de ce dernier, ter­rassé par le fait que mal­gré tous ses efforts… il ne parviendrait jamais à approcher du génie de ce jeune prodige…

Je crois qu’il est impor­tant de porter un regard cri­tique sur son tra­vail. Il ne faut pas qu’il soit “bien”… il faut le juger en fonc­tion des meilleurs. Peut-on amélior­er son art ? Peut-on appren­dre à faire mieux ? Et sinon, n’y a t‑il pas une niche dans laque­lle je serai meilleur qu’un autre. Et l’autre est-il meilleur que moi réelle­ment… ou con­nait-il un suc­cès pas­sager ? Car si on peut répon­dre au moins oui à l’une de ces ques­tions, alors ça vaut le coup de con­tin­uer, mais en essayant con­stam­ment de s’amélior­er. C’est peut-être pas le bon moment, on n’a peut-être pas encore eu la bonne oppor­tu­nité. Mais si ce qu’on fait est vrai­ment bon, alors ça fini­ra par se savoir, même si c’est post-mortem (comme pour Van Gogh qui n’au­ra ven­du qu’une seule toile de son vivant, sur 900 œuvres).

C’est dif­fi­cile de con­seiller quelqu’un qui vient vers vous avec cette ques­tion… cer­tains artistes se sont essayés comme musi­ciens et ont per­cé dans le ciné­ma… S’ils avaient pour­suivi comme musi­cien, auraient-ils per­cé un jour ? Plus vicieux: et si c’est en faisant le tour des cast­ings qu’on les avait remar­qués comme musiciens ?

Réus­sir, c’est avant tout dans sa tête que ça se passe… et si vous pensez cela, vous avez prob­a­ble­ment rai­son. Mais faire ce qu’on aime, aimer ce qu’on pro­duit… c’est dur quand on a du mal à se loger et manger, qu’il faut trou­ver un tra­vail ali­men­taire pour con­tin­uer à vivre sa pas­sion… et l’ab­sence de recon­nais­sance sociale, de richesse… c’est aus­si une sorte de preuve que son tra­vail n’est pas for­cé­ment appré­cié par les autres. A un moment, on doute, on se dit qu’on est peut-être pas aus­si bon qu’on le pen­sait… et c’est dur de con­tin­uer. Quand j’é­tais enfant, mon père fai­sait du dessin et peignait. Je me suis mis à dessin­er et assez rapi­de­ment, l’élève a dépassé le maitre. Il s’est dés­in­téressé du dessin…  Ce qui m’a con­duit à ne pas vouloir appren­dre la pein­ture. Doit-on aban­don­ner parce qu’on n’est pas le meilleur ? N’y a t‑il pas de place dans le monde pour les moins bons ? Prob­a­ble­ment que si, mais il faut alors accepter de ne ramass­er que les miettes. Ou sinon, faire preuve de pugnac­ité, s’amélior­er, et s’ori­en­ter dans un domaine moins con­cur­ren­tiel tels les océans bleus.

Vous auriez aimé que je vous donne une procé­dure, une règle… une méth­ode pour déter­min­er com­ment savoir quand aban­don­ner… Désolé, je n’en con­nais pas. Et prenez garde aux vendeurs de méth­odes ! c’est facile de con­seiller, à pos­te­ri­ori… quand cela a fonc­tion­né ou quand cela a échoué. C’est facile de dire “regardez, cela a marché pour moi alors pourquoi pas vous”. Après, ouvrons le débat… j’ai don­né quelques argu­ments, je suis loin d’avoir épuisé le sujet. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous un avis plus tranché sur la ques­tion ? Est-ce que le sort de ce cher Van Gogh est souhaitable ? Faut-il per­sévéré jusqu’à en mourir (c’est ce qui arrive sur un champ de bataille quand on ne fait pas se repli­er, mais c’est aus­si ce qui arrive quand les années défi­lent… on meurt de vieillesse).

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