Bon l’analyse ne vient pas de moi, je vous rassure, c’est une étude (voir ci-après) qui en est à la base, mais c’est aussi une jolie présentation faite par Dirty Biology sur le sujet. Laissez moi déjà introduire toute cela.
Il y a quelques mois, je vous parlais de l’importance du facteur chance dans le développement de tout business, et je concluais par le fait qu’il était important de rester humble. C’est une réflexion qui n’entre pas en résonance avec la plupart des approches de développement personnel qui elles, sont fondées sur le positivisme et de la notion de mérite: “si tu travailles fort, que tu aimes ce que tu fais, et si tu respectes les règles, alors tu vas forcément connaitre le succès”… un jour. Sauf si tu meures avant de vieillesse… Mais si tu te décourages, c’est de ta faute ! Personnellement, ce n’est pas ce que j’observe — il y a des tas de gens doués qui ne percent pas et qui ne perceront jamais. Je suis d’accord que comme au loto “100% des gagnants ont tenté leur chance”. Je suis d’accord avec le fait qu’on apprend par ses échecs, qu’à chaque jour il faut remettre son ouvrage, … mais je n’aime pas le fait de culpabiliser ceux qui ont essayé, même plusieurs fois, et qui n’ont pas atteint leur but, malgré un talent indéniable. On oublie souvent de dire que le facteur chance est un élément important, si ce n’est “le plus important”. Examinez bien l’histoire de gens qui ont réussi… vous trouverez souvent une ou deux personnes qui leur ont donné leur chance, ou une opportunité qui s’est présentée et qu’ils ont su saisir. Évidemment, la plupart ont du mérite… mais de là à penser que seul suffit ce talent et ce mérite, cela a tendance à gonfler leur égo c’est certain. Mais surtout, cela donne de mauvaises pistes pour les jeunes qui veulent suivre leur chemin.
On nous donne souvent comme exemple d’un illustre homme qui a est devenu très riche, un self made man (peu importe lequel), qui a tout perdu… avant de se reconstruire. C’est beau dit comme ça… mais c’est oublier qu’on ne revient pas à zéro en perdant sa fortune. Le réseau relationnel et l’environnement est probablement plus important dans nos sociétés que le solde de notre compte bancaire. C’est pour cela qu’être né dans une bonne famille ouvre tellement d’opportunités sans compter le fait que disposer d’argent au départ peut changer tout un destin. On va nous dire que “la chance, ça se prend” (en version canadienne) et c’est vrai ! On peut faire en sorte d’être à l’écoute des opportunités, respecter les règles du succès, cultiver ses aptitudes personnelles, son talent… et puis, il n’y aura peut-être pas d’opportunité réelle, que des pétards mouillés… des voies sans issue. C’est triste, et j’ai tendance à penser comme beaucoup qu’un jour, ça finit par payer — Mais dites ça à Vincent Van Gogh qui a réussi à vendre une seule toile dans sa vie !
Souvent, ceux qui ont réussi écrivent leur légende personnelle, finissent par “comprendre” pourquoi ils ont réussi, ce petit plus qu’ils avaient et que les autres n’ont pas. C’est d’ailleurs l’un des moyens de justifier moralement qu’on dispose d’une fortune et que d’autres restent sur le carreau. C’est de leur faute après tout: ils sont paresseux, ils ne sont pas doués, ils n’ont pas voulu suivre les conseils de “ceux qui réussissent”. Parfois il écrivent un livre, leur méthode… et étrangement, le succès ne semble pas reproductible. Enfin si, il y en aura toujours quelques uns qui auront lu le livre et qui penseront peut-être que c’est grâce à cela qu’ils ont réussi.
C’est une position flatteuse et confortable pour celui qui réussit. C’est assez porteur pour le jeune qui se lance, plein d’espoirs… mais quand 5 ans passent… puis 10 ans… puis 20 ans… tout doucement, cette “croyance” devient comme un poison qui se retourne contre celui qui avait la foi — car si ce logiciel de la pensée est vrai, cela veut dire que s’ils n’ont pas réussi, s’ils n’ont pas leur rolex à 50 ans, c’est entièrement leur faute: pas assez courageux ou pas assez de talent. Oui, comme Van Gogh ou bien d’autres, illustres inconnus à jamais dont l’oeuvre ne sera jamais connue du grand public et qui représente la partie immergée de l’iceberg.
Alors, pourquoi en sommes-nous arrivés à ne pas savoir détecter tous les talents, à se priver d’une grosse partie de ce que l’humanité a produit de meilleur ? Cela mérite réflexion et je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain aujourd’hui. Je préfère vous laisser avec une Analyse de “Dirty Biology” sur la question, centrée autour de Youtube. Pour cela, il a commencé son étude par les youtubers les plus influents. Il nous parle de l’effet de halo, ce biais cognitif qui a tendance à nous faire tirer de mauvaises conclusions en ne voyant que la partie la plus visible d’un phénomène: étudier le succès en ne prenant en compte que ceux qui réussissent, sans étudier tous les autres, est une absurdité sur le plan logique, mais c’est pourtant ce que nous faisons le plus souvent, c’est humain. Science étonnante en donne une bonne explication. C’est d’ailleurs le principe à la base du biais du survivant. J’aime beaucoup sa comparaison entre “le mythe de la légende personnelle” que quelqu’un qui a réussi se forge et l’effet pigeon de Skinner. C’est tellement observable en trading boursier… toutes ces petites superstitions qui tournent autour de cela. Je connais quelqu’un de très riche qui glisse des prières sous ses objets pour gagner plus d’argent… certains pensent même que c’est le fait d’avoir vendu leur âme au diable, dans un instant de faiblesse, qui leur a valu le succès.
Une étude de A. Pluchino. A. E. Biondo, A. Rapisarda de février 2018 traite de la place de la chance dans le succès. Et elle est accablante pour l’idée de méritocratie. La chance ne relève pas que du hasard (nous avons un levier), mais le hasard reste une dominante fondamentale — c’est ce que révèle cette étude. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir, ce serait celle-ci. Sans plus attendre, regardez cette vidéo fort instructive:
Je parlais de cela avec un Youtuber qui pensait invalider la démonstration précédente, mais sans avancer d’un iota en réalité. Je lui disais : “Penses-tu que Raven, le chimpanzé, a utilisé tous les bons ingrédients, ce qui explique qu’il ait été classé en 2000, comme le 22è meilleur gestionnaire de fonds aux États-Unis ? S’il pouvait écrire un livre, je suis certain qu’il saurait expliquer son succès par le fait d’avoir durement travaillé et utilisé une bonne technique (Tout est dans le mouvement du poignet il parait).” — il me répondait “Je pense qu’on ne peut pas vraiment comparer Wall Street et Youtube. Raven le chimpanzé si on refait l’expérience plus longtemps Raven ne restera pas 22ième. C’est comme le poker, tu peux gagner une partie ou deux au début en jouant complètement à l’aveugle, mais si tu ne sais pas ce que tu fais tu finiras par perdre sur le long terme.”. Ce à quoi je répondais:“cela n’a rien à voir, il suffit de 1 ou 2 deux coups de chance pour être propulsé. C ce coup d’accélérateur qui manque à la plupart des bons youtubers dont la chaîne restera dans l’ombre.”
En fait, dans son “logiciel”, sa façon de penser, il ne peut pas croire que quelqu’un de doué, qui a du mérite et qui utilise les bonnes techniques, peut quand même rester dans l’ombre. Pour lui, la chance ne compte pas, c’est juste une succession de petit pas vers le succès. C’est une croyance séduisante qu’on ne peut pas remplacer par celle qui semble plus conforme à la réalité mais qui est de dire: “écoute petit, met toutes les chances de ton coté, et peut-être qu’un jour, si tu es doué, si … alors tu finiras par rencontrer le succès, à être reconnu et probablement à bien gagner ta vie.. mais statistiquement, tu as plus de chances de te gaufrer”. Faut-il conserver cette vision idyllique du succès, au risque d’anéantir certaines personnes qui finissent par dépérir, culpabiliser.… ou abandonner leurs rêves, au profit de quelqu’un pour qui la vie a sourit ?
Pourquoi ce sujet semble me tenir à coeur ? Pourquoi Dirty Biology en parle alors que lui-même connait le succès ? Si c’était un petit youtuber qui ne perce pas, on aurait dit qu’il faisait cela par amertume, et on aurait trouvé toutes les explications du monde à son échec. Pour ma part, j’estime avoir eu quelques opportunités sympas dans ma vie. Je ne suis pas célèbre, mais je ne le mérite probablement pas non plus. Je n’y aspire d’ailleurs pas. Réussir… oui, mais ce que j’ai me convient… je voudrais d’avantage pouvoir faire ce que j’aime et moins “produire”, mais qu’importe. Entre là où je suis, et là où j’ai commencé.… je suis très heureux du résultat. Mais j’ai souvent culpabilisé par le passé. On me demandait souvent: “mais avec tout ce que tu sais faire, avec toutes tes connaissances, pourquoi tu n’es pas à la Silicon Valley avec un logiciel qui va changer le monde ?” — Ahah, j’en vois certains qui se disent “mais il ne manque pas d’égo celui-ci, quel mytho ! “. Oui, disons que je fais peut-être illusion et que mon domaine d’expertise (le développement informatique) est encore perçu comme étant une sorte de science magique par le commun des mortels… donc on m’attribue une aura que je n’ai pas. Je ne manquais pas d’idée, et j’ai souvent essayé… mais je me suis pris régulièrement le “mur de la réalité” en pleine face. La grande opportunité ne s’est jamais présentée. Mais qu’importe ! Et je ne suis pas encore mort non plus 😉
C’est peut-être ça qu’on devrait enseigner aux jeunes: “ne cherchez pas à réussir… à être célèbres… cherchez à faire ce que vous aimez avant-tout, à pouvoir en vivre correctement et cela contribuera à votre bonheur et celui de vos proches”. Car quand on essaye et qu’on échoue dans quelque chose qu’on aime, on n’a pas tout perdu. Et on a plus de chances de réussir si on aime… je n’ai pas les statistiques, mais j’ai envie d’y croire ! Et vous, en quoi croyez-vous ?
Pour conclure, il y a du bon dans la croyance de se dire qu’on peut réussir si on est persévérant, travailleur, capable de se relever après de multiples échecs, à l’écoute, mais aussi à l’origine d’opportunités… Mais il faut rappeler aussi que tout cela n’est pas toujours suffisant et qu’il ne faut pas juger du talent de quelqu’un à son “nombre de followers” ou à l’état de son compte bancaire. Et encore moins accabler les gens qu’on trouve talentueux mais qui ne réussissent pas. C’était ça mon message !
Billet très intéressant, comme souvent !